Éco-conception logicielle : coder moins pour impacter mieux
Selon le Shift Project, le poids énergétique du numérique croît de 9 % par an, et la consommation électrique du numérique a déjà dépassé celle de l’aviation civile mondiale. Cette inflation énergétique est en grande partie due à la complexification croissante des logiciels : fonctionnalités redondantes, interfaces lourdes, back-ends surdimensionnés… et souvent, un manque de conscience de l’impact réel de nos choix de conception.
L’éco-conception logicielle, pilier du Numérique Responsable, offre une réponse concrète à ce défi. Elle vise à réduire l’empreinte environnementale des services numériques tout en maintenant (voire en améliorant) leur performance, leur accessibilité et leur maintenabilité. Et cette approche s’intègre naturellement dans les principes du Software Craftsmanship : rigueur, responsabilité, qualité, sobriété.
L’éco-conception, un levier collectif au service de la performance
Contrairement à une idée reçue, l’éco-conception n’est pas seulement une affaire de développeurs. Elle mobilise toute l’équipe produit : tech leads, designers, PO, responsables RSE, RH et bien sûr les développeurs eux-mêmes.
Prenons un exemple concret : en limitant volontairement les appels API redondants via un système de cache local (localStorage ou IndexedDB), on réduit non seulement la bande passante consommée, mais aussi les temps de chargement, les coûts d’infrastructure, et la charge CPU côté client. Cela se traduit par une meilleure UX et un meilleur SEO.
Autre cas : la réduction de la dette technique passe souvent par une sobriété dans les choix technologiques. Par exemple, remplacer un framework front complexe par Svelte, qui compile en JavaScript natif sans runtime, peut diviser par trois la taille des bundles générés. Résultat : un produit plus rapide, plus léger, plus facile à maintenir.
Enfin, intégrer l’éco-conception permet aussi de se conformer aux normes émergentes comme le RGESN (Référentiel Général d’Écoconception des Services Numériques), ou encore de viser des labels comme NumEco ou EcoCode.
Des techniques concrètes pour un code plus frugal
Supprimer ce qui ne sert à rien : code mort, dépendances et composants dormants
L’un des leviers les plus sous-estimés est le nettoyage régulier du code mort. Cela passe par des outils comme webpack-bundle-analyzer, Unused CSS, ou encore ts-prune pour TypeScript.
Exemple en React :
// Mauvais
import { OldComponent } from './OldComponent';
// ... OldComponent n'est jamais utilisé
moment.js, lodash) et les remplacer par des alternatives ciblées (comme date-fns, ou des fonctions ES natives). Mutualiser les requêtes côté back-end pour limiter la consommation réseau
En passant d’un modèle request per item à un modèle batching ou pagination, on divise souvent par 5 ou 10 la charge serveur.
Par exemple :
// Mauvais : 10 appels réseau
items.forEach((id) => fetch(`/api/item/${id}`));
// Mieux : 1 seul appel batch
fetch(`/api/items?ids=${items.join(',')}`);
Cache-Control, ETag) ou de préchargement intelligent selon le comportement utilisateur. Aller vers des architectures plus sobres
- Utiliser des frameworks sans runtime comme Astro, Eleventy ou Qwik, qui ne chargent que ce qui est nécessaire.
- Désactiver le JS quand il n’est pas essentiel pour la navigation ou le rendu primaire.
- Préférer des composants server-side rendered (SSR) statiques quand possible pour limiter l’énergie côté client.
→ Chiffre clé : une page web « sobre » (moins de 500 Ko) peut réduire son impact environnemental de 70 % par rapport à une page de 2 Mo (source : GreenIT.fr).
Mesurer, c’est progresser : intégrer des indicateurs dans vos workflows
Intégrer la performance environnementale dans vos pipelines CI/CD
Voici des métriques concrètes à suivre dans vos pipelines :
- Poids total des pages (en Ko)
- Nombre de requêtes HTTP
- Taille des bundles JS et CSS
- Temps CPU moyen sur le rendu
- Utilisation mémoire à l’exécution
Ces indicateurs peuvent être monitorés avec EcoIndex CLI, GreenIT Analysis, ou directement via Lighthouse CI intégré dans vos workflows GitHub Actions ou GitLab CI.
Exemple d’intégration :
bash
npx ecoindex-cli https://votre-site.fr --json > report.json
Quelques KPIs RSE pertinents
- Réduction des émissions GES estimées (en gCO2eq)
- Ratio fonctionnalités utiles / fonctionnalités développées
- Part de code mutualisé réutilisable
- Score d’éco-conception RGESN
- Taux de conformité aux critères d’accessibilité (RGAA)
Ces KPIs peuvent être rattachés à vos bilans carbone, vos démarches ISO 26000, ou intégrés dans vos reportings extra-financiers.
Former, outiller, valoriser : vers une culture numérique responsable
Des critères environnementaux dès les specs
Intégrer l’éco-conception dès les phases amont passe par l’ajout de critères dans les User Stories, comme :
En tant qu'utilisateur mobile avec une faible connexion,
Je souhaite accéder à une page légère et rapide,
Pour limiter ma consommation de data et mon temps de chargement.
Valoriser un code responsable grâce au Clean Code
L’éco-conception est intimement liée à la philosophie du Clean Code : un code lisible, modulaire, optimisé, sans duplications inutiles. Cette approche réduit non seulement la dette technique, mais aussi la charge mentale, la taille des fichiers, et donc la consommation CPU et mémoire.
Exemple : un refactoring qui supprime des boucles imbriquées ou des traitements redondants peut diviser par deux le temps CPU et le coût carbone d’une fonctionnalité critique.
On vous accompagne pour aller un peu plus loin
Téléchargez notre checklist des 10 bonnes pratiques d’éco-conception.
Cette checklist vous aidera à :
– Identifier les leviers techniques à fort impact
– Améliorer votre code et vos choix produit
– Aligner votre travail avec les principes du numérique responsable
